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LA RÉVOLUTION


la ration n’est que d’un quarteron de pain. De même, à Nantes, qui a 82 000 habitants et fourmille de misérables, « la distribution n’y a jamais excédé 4 onces par jour », et cela depuis un an. De même à Rouen, qui contient 60 000 âmes ; et, par surcroît, dans la dernière quinzaine, la distribution y a manqué trois fois ; au reste, les gens aisés souffrent peut-être plus que la classe indigente, car ils n’ont point part aux distributions communales, et « toutes les ressources pour s’approvisionner leur sont, pour ainsi dire, interdites ». — Cinq onces de pain par jour, depuis quatre mois, aux 40 000 habitants de Caen et de son district[1]. « Une grande partie, dans la ville comme dans la campagne, vit de son et d’herbes sauvages. » À la fin de prairial, « il n’y a pas un boisseau de grain dans les magasins de la ville, et les réquisitions, soutenues par la force la plus active, la plus imposante, ne produisent rien ou peu de chose ». De semaine en semaine, la misère s’aggrave. « Impossible de s’en faire une idée. Le peuple, à Caen, vit de pain de son et de sang de bœuf… On voit sur toutes les figures les traces produites par la famine… Figures plombées et livides… Impossible d’attendre jusqu’à la nouvelle récolte, jusqu’à la fin de fructidor. » — Et ce cri-là est universel ; il s’agit, en effet, de franchir le dernier défilé, le plus étroit, le plus terrible ; quinze jours de jeûne absolu

  1. Archives nationales, AF, II, 72 (Lettres du représentant Porcher, Caen, 24 prairial, 3 et 26 messidor. — Lettre de la municipalité de Caen, 3 messidor).