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LA RÉVOLUTION


sous dans Paris, sort furtivement de Paris pour aller dans la banlieue, où on le paye six sous ; même écoulement furtif pour les autres denrées que l’État fournit aux mêmes conditions aux autres marchands ; la taxe est un poids qui les entraîne hors de la boutique : elles glissent comme une eau sur une pente, non seulement hors de Paris, mais dans Paris. — Naturellement, « les épiciers font colporter sous le manteau leur sucre, leur chandelle, leur savon, leur beurre, leurs légumes secs, leurs pâtes et le reste dans les maisons particulières qui les achètent à tout prix ». — Naturellement, le boucher réserve ses grosses pièces de viande et ses morceaux de choix pour les grands traiteurs, pour ses clients riches, qui le payent aussi cher qu’il veut. — Naturellement, quiconque a l’autorité ou la force en use pour s’approvisionner le premier, largement et par préférence ; on a vu les prélèvements des comités, surveillants et agents révolutionnaires ; tout à l’heure, quand les bouches seront rationnées, chaque potentat se fera délivrer plusieurs rations pour sa seule bouche ; en attendant[1], aux barrières, des patrouilles de garde s’approprient les denrées qui arrivent, et le lendemain, à

  1. Dauban, 255 (Ordre du jour de Henriot, 27 ventôse) : « J’invite mes frères d’armes à ne s’emparer d’aucune denrée quelconque ; cette petite privation fera taire les malveillants qui cherchent sans cesse l’occasion de nous humilier. » — Ib., 359 : « Le 29 floréal, entre quatre et cinq heures du matin, une patrouille d’environ quinze hommes de la section du Bonnet-Rouge, ayant à leur tête une espèce de commissaire, arrêtaient les subsistances sur la route d’Orléans, les conduisaient dans leur section. »