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LES GOUVERNÉS


« perdre la vie pour obtenir un quarteron de beurre ». — Plus sensibles et plus violentes que les hommes, « elles n’entendent ou ne veulent entendre aucune raison[1] : elles fondent, comme des harpies », sur les charrettes qui arrivent au marché ; elles frappent les conducteurs, elles répandent sur le pavé le beurre et les légumes, elles s’étouffent et se renversent elles-mêmes par l’impétuosité de leur assaut ; plusieurs, « foulées aux pieds, presque écrasées, sont emportées demi-mortes ». Chacun pour soi ; les estomacs creux sentent que, pour être servis, il faut se servir soi-même, devancer autrui, ne plus attendre la distribution, le déchargement, ou même l’arrivée des subsistances. — « Un bateau de vins ayant été signalé, la foule s’est précipitée pour le piller, et le bateau a sombré, » probablement avec beaucoup des envahisseurs[2]. D’autres attroupements, aux barrières, arrêtent les voitures des paysans et s’emparent des denrées avant qu’elles arrivent aux Halles. En avant des barrières, des enfants et des femmes lancent des pierres aux laitiers, pour les

  1. Dauban, 199 (Rapports du 19 ventôse). — Dauban, la Démagogie en 1793, 470 : « À peine les paysans sont-ils arrivés, que des harpyes, sous l’habillement de femmes, se jettent sur eux et leur enlèvent leurs marchandises. Hier, un paysan a été battu par des femmes, pour avoir voulu vendre ses denrées sur le pied du maximum. » (19 octobre 1793.) — Dauban, Paris en 1794, 144, 173, 199 (Rapports des 13, 17, 19 ventôse). — Archives des affaires étrangères, tome 1410 (Rapports du 26 au 27 juin 1793). Pillage de voitures de chandelles, de bateaux de chandelles et de savon.
  2. Dauban, ib., 45 (Rapports du 17 pluviôse) ; 227 (Rapports du 28 ventôse) ; 160 (Rapports du 15 ventôse) ; 340 (Rapports du 28 germinal) ; 87 (Rapports du 5 ventôse).