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LA RÉVOLUTION


premières ou de matières ouvrées osera faire ses livraisons comme à l’ordinaire, et accorder à ses clients le crédit indispensable de trois mois ? Quel gros industriel voudra fabriquer, quel gros commerçant voudra expédier, quel propriétaire riche ou aisé voudra bâtir, dessécher, endiguer, assainir, réparer ou même entretenir, avec la certitude fondée de ne rentrer que tard et à moitié dans ses avances, avec la certitude croissante de n’y pas rentrer du tout ? — D’année en année, et par jonchées, les grandes maisons s’écroulent : après la ruine de la noblesse et le départ des étrangers opulents, toutes les industries de luxe, qui, à Paris et à Lyon, donnaient le ton à l’Europe, les fabriques d’étoffes, d’ameublements, d’objets d’art, d’élégance et de mode ; après la jacquerie noire de Saint-Domingue et les troubles des Antilles, le grand commerce colonial, la magnifique prospérité de Nantes et de Bordeaux, les industries qui produisaient, transportaient et distribuaient le coton, le sucre et le café[1] ; après la déclaration de guerre aux Anglais, tout le commerce maritime ; après la déclaration de guerre à l’Europe, tout le commerce continental[2]. Faillites sur faillites, débâcle universelle,

    stände, III, 205 : « Pendant la Révolution, l’intérêt fut de 4 à 5 pour 100 par mois ; en 1796, de 6 à 8 pour 100 par mois ; le moindre fut de 2 pour 100 par mois et sur gages. »

  1. Arthur Young, Voyages en France, traduction Lesage, II, 360 : « Je tiens Bordeaux pour plus riche et plus commerçante qu’aucune ville d’Angleterre, excepté Londres. »
  2. Ib., II, 357. Le chiffre des exportations de la France en 1787 est de 349 millions, celui des importations de 340 millions, (en exceptant la Lorraine, l’Alsace, les Trois-Évêchés et les Antilles). — Ib., 360. En 1785, on importe des Antilles en France