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LA RÉVOLUTION


perd des chances de remboursement, et sa valeur baisse. Puis, le 27 avril 1792, sur le rapport de Cambon, l’émission illimitée commence ; selon les financiers jacobins, pour défrayer la guerre, il n’y a qu’à faire tourner la machine à promesses : en juin 1793, elle a déjà fabriqué pour 4320 millions d’assignats, et chacun voit que forcément son jeu s’accélère. C’est pourquoi le gage, vainement accru, ne suffit plus à porter l’hypothèque disproportionnée et monstrueuse ; elle déborde au delà, pose sur le vide, et s’effondre sous son propre poids. À Paris, en numéraire, l’assignat de 100 francs ne vaut plus, au mois de juin 1791, que 85 francs, au mois de janvier 1792 que 66 francs, au mois de mars 1792 que 53 francs ; relevé, à la fin de la Législative, par les confiscations nouvelles, il retombe à 55 francs en janvier 1793, à 47 francs en avril, à 40 francs en juin, à 33 francs en juillet[1]. — Voilà les créanciers de l’État fraudés du tiers, de la moitié, des deux tiers de leur créance, et, non seulement les créanciers de l’État, mais tous les créanciers quelconques, puisque tout débiteur quelconque a le droit de s’acquitter en assignats. Comptez-les, si vous pouvez, ces particuliers fraudés de leur créance sur un particulier quelconque, bailleurs de fonds et commanditaires dans une entreprise privée d’industrie et de négoce, prêteurs d’argent par contrat à échéance plus ou moins distante, vendeurs d’immeubles par contrat avec clause de payement plus ou moins lointain, propriétaires qui

  1. Schmidt, Pariser Zustände, I, 104, 138, 144.