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LA RÉVOLUTION


mérites et les démérites, les innocents et les scélérats ; et il est des jours où le contraste, plus énorme encore, assoit les criminels sur l’estrade des juges, et les juges sur le banc des criminels. Le 1er et le 2 floréal, les anciens dépositaires du droit public, les représentants et gardiens de la liberté sous la monarchie, vingt-cinq magistrats des parlements de Paris et de Toulouse, plusieurs d’un esprit éminent, de la plus haute culture et du plus noble caractère, parmi eux les plus beaux noms historiques de la magistrature française, M. Étienne Pasquier, M. Le Fèvre d’Ormesson, M. Molé de Champlatreux, M. de Lamoignon de Malesherbes, sont expédiés à la guillotine[1] par les juges et jurés que l’on connaît, par des assassins ou des brutes qui ne prennent pas la peine ou qui n’ont pas la capacité de colorer leurs sentences. M. de Malesherbes disait, après avoir lu son acte d’accusation : « Si seulement cela avait le sens commun ! » — Effectivement, ceux qui prononcent l’arrêt sont, de leur propre aveu, « des jurés solides, de bons sans-culottes, des hommes de la nature[2] » ; quelle nature ! L’un d’eux Trinchard, menuisier auvergnat, se peint lui-même au vif par ce billet qu’avant l’audience il adresse à sa femme : « Si tu nest pas toute seulle et que le compagnion soit a travalier tu peus ma chaire amie venir voir juger 24 mesieurs tous si-deven pré-

  1. Wallon, Histoire du Tribunal révolutionnaire, III, 285. — Campardon, Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris, I, 306. Un des jurés était Brochet, ancien laquais.
  2. Buchez et Roux, XXXV, 75, 102 (Procès de Fouquier-Tinville, paroles du juré Trinchard).