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LA RÉVOLUTION


plusieurs provinces, dans plusieurs grandes villes, presque toute la population qui travaille de ses mains le commet et s’y obstine ; au rapport des agents jacobins, c’est le cas pour l’Alsace, la Franche-Comté, la Provence, le Vaucluse, l’Anjou, le Poitou, la Vendée, la Bretagne, la Picardie, la Flandre, à Marseille, à Bordeaux et à Lyon ; dans Lyon seulement, écrit Collot d’Herbois, « il y a soixante mille individus qui ne seront jamais républicains ; ce dont il faut s’occuper, c’est de les licencier, de les répandre avec précaution sur la surface de la République[1] ». Enfin, aux gens du peuple poursuivis pour les motifs publics, ajoutez les gens du peuple poursuivis pour des motifs privés : entre les paysans du même village, entre les ouvriers du même métier, entre les boutiquiers du même quartier, il y a toujours de l’envie, des inimitiés, des rancunes ; ceux d’entre eux qui, étant jacobins, sont devenus pachas chez eux et sur place, peuvent satisfaire impunément leurs jalousies locales ou leurs ressentiments personnels, et ils n’y manquent pas[2].

    montagne, 20 septembre 1793) ; l’aversion pour le gouvernement descend très bas : « Ces femmes (de la Halle et des marchés) s’accordent toutes sur un point, le besoin d’un nouvel ordre de choses ; elles se plaignent de toutes les autorités constituées, sans en excepter une ;… elles n’ont pas encore le roi dans la bouche, il est bien à craindre qu’elles ne l’aient déjà dans le cœur. Une femme disait dans le faubourg Saint-Antoine : Si nos maris ont fait la Révolution, nous saurons bien faire la contre-révolution, si cela est nécessaire. »

  1. Voir tome VII, livre III, ch. ii, § vi. — Archives nationales, F7, 4435, n° 10 (Lettre de Collot d’Herbois à Couthon, 11 frimaire an II).
  2. Archives des affaires étrangères, tome 331 (Lettre de Ber-