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LA RÉVOLUTION


politiciens. La France n’était pas en train, comme aujourd’hui, de devenir un vaste hôtel garni, livré à des gérants de rencontre, condamné à des faillites périodiques, peuplé d’habitants anonymes, indifférents les uns pour les autres, sans attache locale, sans intérêts ni affections de corps, simples locataires et consommateurs de passage, rangés par numéros autour d’une table d’hôte égalitaire et banale, où chacun ne songe qu’à soi, se sert au plus vite, accroche et mange tant qu’il peut, et finira par découvrir qu’en pareil endroit la meilleure condition, le parti le plus sage, est de vivre célibataire, après avoir mis tout son bien en viager. — Autrefois, dans toutes les classes et dans toutes les provinces, il y avait quantité de familles enracinées sur place, depuis cent ans, deux cents ans et davantage. Non seulement dans la noblesse, mais aussi dans la bourgeoisie et dans le tiers état, l’héritier d’une œuvre devait en être le continuateur ; comme le château et le grand domaine, comme la maison bourgeoise et l’office patrimonial, l’humble domaine rural, la ferme, la boutique et l’atelier se transmettaient intacts de génération en génération[1]. Petit ou grand, l’individu ne s’intéressait pas uniquement à lui-même ; sa pensée s’allongeait vers l’avenir et vers le passé, du côté de ses ancêtres et du côté de ses descendants, sur la chaîne indéfinie dont sa propre vie n’était qu’un anneau ;

  1. F. Le Play, l’Organisation de la famille, 212 (Histoire de la famille Mélouga, de 1856 à 1869, par M. Cheysson), et 269 (sur la difficulté des partages d’ascendants, par M. Claudio Jannet).