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LA RÉVOLUTION


pire point à devenir agent de change ou notaire à Paris. — Rien de semblable alors à cette colonie ambulante qui vient, par ordre d’en haut, administrer chacune de nos villes, à ces étrangers de passage, sans consistance, sans biens-fonds, intérêts ni liens locaux, campés dans un logement loué, souvent dans un logement garni, quelquefois à l’hôtel, éternels nomades, à la disposition du télégraphe, toujours prêts à déménager pour s’en aller à cent lieues, moyennant cent écus d’augmentation, faire la même besogne abstraite. Leur prédécesseur était du pays, stable et satisfait ; il n’était pas obsédé par le désir de l’avancement ; dans l’enceinte de sa corporation et de sa ville, il avait une carrière. N’ayant point l’envie ni l’idée d’en sortir, il s’y accommodait ; il contractait l’esprit de corps, il s’élevait au-dessus de l’égoïsme individuel, il mettait son amour-propre à soutenir, envers et contre tous, les prérogatives et les intérêts de sa compagnie. Établi pour toute sa vie dans sa ville natale, parmi des collègues anciens, de nombreux parents et des compagnons d’enfance, il tenait à leur opinion. Exempt des impôts vexatoires ou trop lourds, ayant quelque aisance, propriétaire au moins de sa charge, il était au-dessus des préoccupations sordides et des besoins grossiers. Accoutumé par les vieilles mœurs à la simplicité, à la sobriété, à l’épargne, il n’était pas tourmenté par la disproportion de son revenu et de sa dépense, par les exigences de la représentation et du luxe, par la nécessité de gagner chaque année davantage. — Ainsi dirigés et dégagés,