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LA RÉVOLUTION


des études et sachant le latin, consentit, moyennant 600 francs ou même 300 francs par an, à vivre isolé, célibataire, presque dans l’indigence, parmi des indigents et des rustres, il fallait qu’il fût prêtre : la qualité de son office le résignait aux misères de sa place. Prédicateur de dogme, professeur de morale, ministre de charité, guide et dispensateur de la vie spirituelle, il enseignait une théorie du monde, à la fois consolante et répressive, qu’il rendait sensible par un culte, et ce culte était le seul qui fût approprié à son troupeau. Manifestement, les Français, surtout dans les métiers manuels et rudes, ne pouvaient penser le monde idéal que par ses formules ; là-dessus l’histoire, juge suprême, avait prononcé en dernier ressort ; aucune hérésie, aucun schisme, ni la Réforme, ni le jansénisme, n’avait prévalu contre la foi héréditaire. Par des racines infiniment multipliées et profondes, elle tenait aux mœurs de la nation, au tempérament, au genre d’imagination et de sensibilité de la race. Implantée dans le cœur, dans l’esprit et jusque dans les sens par la tradition et la pratique immémoriales, l’habitude fixe était devenue un besoin instinctif, presque corporel, et le curé catholique, orthodoxe, en communion avec le pape,

    collège… Il n’était pas rare de voir des prêtres appartenant aux plus hautes classes de la société, comme M. de Trévillers à Trévillers, Balard de Bonneraux à Bonnétage, de Mesmay à Mesmay, du Bouvot à Osselle, s’ensevelir volontairement au fond des campagnes, quelques-uns au milieu des domaines de leur famille, et, non contents de partager leurs revenus avec leurs pauvres paroissiens, laisser encore à ceux-ci en mourant une grande partie de leur fortune. »