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LA RÉVOLUTION


indisciplinés, compromis ou compromettants, fatigués ou excentriques, depuis Maillard jusqu’à Chaumette, depuis Antonelle jusqu’à Chabot, depuis Westermann jusqu’à Clootz. — Chacun des proscrits avait sa séquelle, et, subitement, toute cette séquelle est obligée de tourner casaque ; ceux qui étaient capables d’initiative s’aplatissent ; ceux qui étaient capables de pitié s’endurcissent. Dès lors, parmi les Jacobins subalternes, les racines de l’indépendance, de l’humanité, de la loyauté, difficiles à extirper même dans une âme ignoble ou cruelle, sont arrachées jusqu’à la dernière fibre, et le personnel révolutionnaire, déjà si bas, se dégrade jusqu’à devenir digne de l’office qu’on lui commet. Affidés d’Hébert, auditeurs de Chaumette, camarades de Westermann, collègues d’Antonelle, officiers de Ronsin, lecteurs assidus de Camille, admirateurs et fidèles de Danton, ils sont tenus de renier publiquement leur ami ou leur chef incarcéré, d’approuver le décret qui l’envoie à l’échafaud, d’applaudir à ses calomniateurs, de le charger au procès : tel juge ou juré, partisan de Danton, a dû étrangler sa défense et, le sachant innocent, le déclarer coupable ; tel autre, qui a dîné vingt fois avec Camille Desmoulins, doit non seulement le guillotiner, mais, par surcroît, guillotiner sa jeune veuve. — Et, aux comités révolutionnaires, à la Commune, aux bureaux du Comité de Sûreté générale, au bureau de police centrale, à l’état-major de la force armée, au Tribunal révolutionnaire, le service auquel sont astreints les Jacobins en place devient chaque jour plus lourd et plus