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LES GOUVERNÉS


ordres, les grands industriels, négociants, armateurs, banquiers, bourgeois considérables, bref cette élite de la noblesse, du clergé et du tiers état, qui, de 1778 à 1789, avait recruté les vingt et une assemblées provinciales et, certainement, formait en France l’état-major social. — Non pas qu’ils fussent des politiques supérieurs : il n’y en avait pas un en ce temps-là, à peine quelques centaines d’hommes compétents, presque tous spéciaux. Mais dans ces quelques hommes résidait presque toute la capacité, l’information, le bon sens politique de la France ; hors de leurs têtes, dans les vingt-six millions d’autres cerveaux, on ne trouvait guère que des formules dangereuses ou vides ; ayant seuls commandé, négocié, délibéré, administré, ils étaient les seuls qui connussent à peu près les hommes et les choses, partant les seuls qui ne fussent pas tout à fait impropres à les manier. Dans les assemblées provinciales, on les avait vus prendre l’initiative et la conduite des meilleures réformes ; ils avaient travaillé efficacement, en conscience, avec autant d’équité et de patriotisme que d’intelligence et d’application ; depuis vingt ans, guidés par la philosophie et soutenus par l’opinion, la plupart des chefs et sous-chefs des grands services publics ou privés faisaient aussi preuve de bonté active[1]. — Rien de plus précieux que de pareils

  1. L’Ancien Régime, tome II, 154. — La Révolution, tome III, 182. — Buchez et Roux, I, 481. — La liste des notables convoqués par le roi en 1787 donne à peu près l’idée de ce que pouvait être cet état-major social. Outre les principaux princes et seigneurs, on y compte, sur 134 membres, maréchaux de France,


  la révolution, vi.
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