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LES GOUVERNÉS


brement des corps empoisonnent l’air. — En plusieurs endroits, la proportion des malades et des morts est plus grande que dans la cale d’un négrier. « De quatre-vingt-dix individus avec lesquels j’étais reclus, il y a deux mois, écrit[1] un détenu de Strasbourg, soixante-six ont été conduits à l’hôpital dans l’espace de huit jours. » En deux mois, dans les prisons de Nantes, sur 13 000 prisonniers, il en meurt 3000 du typhus et de la pourriture[2]. Quatre cents prêtres[3], reclus dans l’entrepont d’un vaisseau en rade d’Aix, encaqués les uns sur les autres, exténués de faim, rongés de vermine, suffoqués par le manque d’air, demi-gelés, battus, bafoués, et perpétuellement menacés de mort, souffrent plus que des nègres dans une cale ; car, par intérêt, le capitaine négrier tient à maintenir en bonne santé sa pacotille humaine, tandis que, par fanatisme révolutionnaire, l’équipage d’Aix déteste sa cargaison de soutanes et voudrait la voir au fond de l’eau. — À ce régime qui, jusqu’au 9 Thermidor, va s’aggravant tous les jours, la détention devient un supplice, souvent mortel, plus lent

  1. Recueil de pièces authentiques, etc., I, 3 (Lettre de Frédéric Burger, 2 prairial an II).
  2. Alfred Lallié, les Noyades de Nantes, 90. — Campardon, Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris (Procès de Carrier), II, 55. Déposition de l’officier de santé Thomas : « J’ai vu périr dans l’hospice révolutionnaire (à Nantes) 75 détenus en 2 jours ; on n’y trouvait que des matelas pourris et sur chacun desquels l’épidémie avait dévoré plus de 50 individus… À l’Entrepôt, je trouvai une quantité de cadavres épars çà et là ; je vis des enfants palpitants et noyés dans des baquets pleins d’excréments humains. »
  3. Relation de ce qu’ont souffert les prêtres insermentés déportés en 1794 dans la rade d’Aix, passim.