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LE GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE


« à des frères égarés ». — « On se flattait, dit un député, témoin oculaire[1], qu’une prompte soumission apaiserait le ressentiment des tyrans et qu’ils auraient ou affecteraient la générosité d’épargner une ville qui s’était signalée plus que toute autre pendant la Révolution. » Jusqu’à la fin, les Bordelais garderont les mêmes illusions et feront preuve de la même docilité. Quand Tallien, avec ses dix-huit cents paysans et brigands, entrera dans Bordeaux, les douze mille hommes de la garde nationale, armés, équipés, en uniforme, viendront le recevoir avec des couronnes de chêne ; ils subiront en silence « sa harangue foudroyante et outrageuse » ; les commandants se laisseront arracher leurs branches de chêne, leurs cocardes et leurs épaulettes ; les bataillons se laisseront casser et disperser sur place ; rentrés au logis, chefs et soldats écouteront, le front bas, la proclamation qui prescrit « à tous les habitants, sans distinction, de déposer, dans les trente-six heures, sous peine de mort, leurs armes sur les glacis de Château-Trompette, et, avant le terme, trente mille fusils, les épées, les pistolets et jusqu’aux canifs seront livrés ». — Ici, comme à Paris au 20 juin, au 10 août, au 2 septembre, au 31 mai et au 2 juin, comme en province et à Paris dans tous les mouvements décisifs de la Révolution, les habitudes de subordination et de douceur, imprimées par la monarchie administrative et par la civilisation séculaire, ont émoussé dans l’homme la prévi-

  1. Meillan, 143. — Mortimer-Ternaux, VIII, 203 (séance de la Convention, 10 août). — Mallet du Pan, Mémoires, II, 9.