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LA RÉVOLUTION


Marseille, comme indulgents et contre-révolutionnaires, parce que, sur 528 prévenus, ils n’en ont fait guillotiner que 162[1]. — Contredire le représentant infaillible ! Cela seul est une offense ; le représentant se doit à lui-même de punir les indociles, de ressaisir les délinquants absous, et de soutenir ses cruautés par des cruautés.

Quand on a bu longtemps d’une boisson nauséabonde et forte, non seulement le palais s’y habitue, mais parfois il y prend goût ; bientôt il la veut plus forte ; à la fin, il l’avale pure, toute crue, sans aucun mélange pour en adoucir l’âcreté, sans aucun assaisonnement pour en déguiser l’horreur. — Tel est, pour certaines imaginations, le spectacle du sang humain ; après s’y être accoutumées, elles s’y complaisent. Lequinio, Laignelot et Lebon font dîner le bourreau à leur table[2] ; Monestier, « avec ses coupe-jarrets, va lui-même chercher les prévenus dans les cachots, les accompagne au tribunal, les accable d’invectives s’ils veulent se défendre, et, après les avoir fait condamner, assiste en costume » à leur supplice[3]. Fouché, lorgnette en main, regarde de sa fenêtre une boucherie de

  1. Berryat-Saint-Prix, 390. — Ib., 404 (sur Soubrié, bourreau à Marseille, lettre de Lazare Giraud, accusateur public) : « Je le fis descendre au cachot pour avoir pleuré sur l’échafaud, en exécutant les contre-révolutionnaires que nous envoyions au supplice. »
  2. Moniteur, XVIII, 413 (séance de la Convention, lettre de Lequinio et Laignelot, Rochefort, 17 brumaire an II) : « Nous avons nommé le patriote Anse guillotineur, et nous l’avons invité à venir, en dînant avec nous, prendre ses pouvoirs par écrit et les arroser d’une libation en l’honneur de la République. » — Paris, II, 72.
  3. Marcelin Boudet, 270 (témoignage de Bardanèche de Bayonne).