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LES GOUVERNANTS


Meusnier n’avait consenti à être général en chef que par intérim ; « à toutes les heures du jour », il demandait à être remplacé ; n’ayant pu l’être, il refusait de donner aucun ordre ; pour lui trouver un successeur, les représentants sont forcés de descendre jusqu’à un capitaine de dépôt, Carlenc, assez hasardeux ou assez borné pour se laisser mettre en main, avec le brevet de commandement, un brevet de guillotine. — Si telle est leur présomption dans les choses militaires, quelle doit être leur outrecuidance dans les choses civiles ! De ce côté, nul frein extérieur, point d’armée espagnole ou allemande qui puisse tout de suite les prendre en flagrant délit d’incapacité ambitieuse et d’intervention malfaisante. Quel que soit l’instrument social, justice, administration, crédit, commerce, industrie, agriculture, ils peuvent le disloquer et le casser impunément. — Ils n’y manquent pas, et de plus, dans leurs dépêches, ils s’applaudissent du dégât qu’ils font. Cela même est de leur mission ; autrement, on les tiendrait pour de mauvais Jacobins, ils seraient vite suspects ; ils ne règnent qu’à condition d’être infatués et démolisseurs ; en eux,

    paix de Campo-Formio, I, 91 à 139. — Ib., 229 : « Cela fit que les hommes qui avaient quelques moyens s’éloignaient avec obstination de toute espèce d’avancement. » — Cf. Ib., II, 131 (novembre 1794), la continuation des mêmes sottises. Par ordre des représentants, l’armée campe tout l’hiver dans des baraques sur la rive gauche du Rhin, près de Mayence, mesure inutile et de pure parade littéraire, « On ne voulut entendre aucune raison, et une belle armée, une bonne cavalerie bien attelée durent périr de froid et de faim, sans aucune utilité, dans les bivacs qu’on pouvait éviter. » Les détails sont navrants ; jamais l’ineptie des chefs civils n’a plus abusé de l’héroïsme militaire.