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LA RÉVOLUTION


« traiter, il s’approchait de Robespierre, Hérault, Saint-Just, escamotait à chacun ses idées, paraissait ensuite à la tribune ; tous étaient surpris de voir ressortir leurs pensées comme dans un miroir fidèle. » Nul, dans le Comité ni dans la Convention, ne l’égale en promptitude et facilité ; c’est qu’il n’a pas besoin de penser pour parler ; en lui la parole est comme un organe indépendant qui fonctionne à part, sans que le cœur indifférent et la cervelle vide aient une part dans sa faconde. Naturellement, il ne sort de là que des phrases toutes faites, le jargon courant des Jacobins, des banalités emphatiques et nauséabondes, des métaphores de collège et des métaphores de boucherie[1]. Sous cette rhétorique, pas une idée ; nul acquis, aucune faculté applicable et positive. Quand Bonaparte, qui emploie tout le monde, même Fouché, voudra employer Barère, il n’en pourra rien tirer, faute de fond, sauf un gazetier de bas étage, un espion ordinaire, un agent provocateur à l’endroit des Jacobins survivants, plus tard un écouteur aux portes, un ramasseur à la semaine des bruits publics ; encore est-il incapable de ce service infime et se fait-il bientôt casser aux gages ; Napoléon, qui n’a pas de temps à perdre, coupe court à son verbiage de radoteur. — C’est ce verbiage qui, autorisé par le Comité de

  1. Moniteur, XXI, 173 (justification de Joseph Lebon et de ses formes un peu acerbes ») : « Il ne faut parler de la Révolution qu’avec respect, et des mesures révolutionnaires qu’avec égard. La liberté est une vierge dont il est coupable de soulever le voile. » — Et ailleurs : « L’arbre de la liberté fleurit quand il est arrosé par le sang des tyrans. »