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LA RÉVOLUTION


que cent honnêtes gens qui se taisent ? — Avec ce sophisme, si grossier qu’il soit, mais de pure fabrique jacobine, Carnot finit par aveugler son honneur et sa conscience ; intact du reste et bien plus que ses collègues, il subit aussi sa mutilation morale et mentale ; sous la contrainte de son emploi et sous le prestige de sa doctrine, il a réussi à décapiter en lui les deux meilleures facultés humaines, la plus utile, qui est le sens commun, et la plus haute, qui est le sens moral.

IV

Si tel est le ravage dans une âme droite, ferme et saine, quelle sera la dévastation intérieure dans les cœurs gâtés ou faibles, en qui prédominent déjà les mauvais instincts ! — Et notez qu’ils n’ont pas le préservatif de Carnot et des hommes d’affaires, la poursuite d’un objet restreint et manifestement utile. On les appelle « hommes de gouvernement », « révolutionnaires » proprement dits, gens de la haute main[1] » : effectivement, ce sont eux qui, avec la conception de l’ensemble, ont la direction de l’ensemble. L’invention, l’organisation et l’application de la terreur leur appartiennent en propre ; ils sont les constructeurs, les régulateurs et les conducteurs de la machine[2], les chefs reconnus du parti, de la secte et du

  1. Senar, Mémoires, 145-153 (Détails sur les membres des deux Comités).
  2. Rapports de Billaud : sur l’organisation du gouvernement révolutionnaire, 18 novembre 1793 ; sur la théorie du gouvernement démocratique, 20 avril 1794. — Rapports de Robespierre : sur la situation politique de la République. 17 novembre 1793 ; sur les