Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 7, 1904.pdf/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
21
LE GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE


« routes, jusqu’à quinze et vingt lieues de la capitale », les délégués sont fouillés ; on ouvre leurs malles et l’on décachette leurs lettres. Aux barrières de Paris, ils trouvent des « inspecteurs », apostés par la Commune, sous prétexte de les protéger contre les filles et les escrocs. Là, on s’empare d’eux, on les mène à la mairie, on leur délivre des billets de logement, et un piquet de gendarmerie les conduit, un à un, à leur domicile prescrit[1]. Les voilà parqués comme des moutons, chacun dans son enclos numéroté. Que les dissidents n’essayent pas de s’échapper et de faire bande à part ; un de ceux-ci, qui vient demander à la Convention une salle pour lui et pour ses adhérents, est rabroué de la plus terrible manière ; on l’appelle intrigant, on l’accuse d’avoir voulu défendre le traître Custine, on prend par écrit son nom et ses qualités, on le menace d’une enquête[2] ; le malencontreux orateur entend parler de l’Abbaye ; il doit s’estimer heureux de n’y pas coucher le soir même. Après cela, il est certain qu’il ne reprendra pas la parole et que ses collègues auront la bouche close : d’au-

  1. Moniteur, XVII, 330 (Arrêté de la Commune, 6 août).
  2. Id., XVII, 332 (séance de la Convention, 6 août). — Cf. le Diurnal de Beaulieu, 6 août ; Beaulieu mentionne plusieurs députations et motions du même genre, et constate les alarmes de la Montagne. — Durand de Maillane, Mémoires, 151. « Parmi les envoyés des départements étaient des hommes sages, qui, loin d’approuver toutes les démarches de leurs collègues, avaient et manifestaient des sentiments très opposés. Ceux-ci furent molestés, emprisonnés. » — Archives des affaires étrangères, tome 1411 (Rapports des agents du 10 au 11 août). « Les commissaires des départements nous ont paru en général dans les meilleures dispositions. Il y a cependant quelques intrigants parmi eux ; nous en suivons plusieurs, et nous nous efforçons,