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LA RÉVOLUTION


voir en fonctions les corps et les individus par lesquels il s’exerce, assemblées, comités, délégués, administrateurs et subordonnés de tout degré. Comme un fer chaud appliqué sur la chair vive, la situation imprime sur leurs fronts ses deux stigmates, avec des profondeurs et des colorations diverses ; eux aussi, ils ont beau recouvrir leur flétrissure : sous les couronnes qu’ils se décernent et sous les titres dont ils se parent, on voit apparaître la marque de l’esclave ou la marque du tyran.

I

Aux Tuileries, dans la grande salle de théâtre convertie en salle de séances, trône la Convention omnipotente : tous les jours en superbe appareil, elle délibère ; ses décrets, accueillis par une obéissance aveugle épouvantent la France et bouleversent l’Europe. De loin, sa majesté est formidable, plus auguste que celle du Sénat républicain à Rome. De près, c’est autre chose : ces souverains incontestés sont des serfs qui vivent dans les transes, et à juste titre : car nulle part, même en prison, on n’est plus contraint et moins en sûreté que sur leurs bancs. — À partir de juin 1793, leur enceinte inviolable, le grand réservoir officiel d’où découle toute autorité légale, est devenue une sorte de vivier où la nasse révolutionnaire plonge à coup sûr et coup sur coup, pour ramasser des poissons de choix, un à un ou par douzaines, quelquefois en gros tas, d’abord les soixante-sept députés girondins exécutés ou proscrits,