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LA RÉVOLUTION


venir ses collègues, il rédige, apporte et fait voter par la Convention la terrible loi de Prairial qui met à sa discrétion toutes les vies. — Dans sa hâte cauteleuse et maladroite, il a demandé trop ; à la réflexion, chacun s’alarme pour soi-même ; il est forcé de reculer, de protester qu’on l’a mal compris, d’admettre une exception pour les représentants, partant de rengainer le couteau qu’il mettait déjà sur la gorge de ses adversaires. Mais il ne l’a pas lâché, il les guette, et, simulant la retraite, affectant le renoncement[1], tapi dans son coin, il attend qu’ils se discréditent, pour sauter sur eux une seconde fois. Cela ne tardera guère ; car la machine d’extermination qu’il a installée le 22 prairial demeure entre leurs mains, et il faut qu’elle fonctionne entre leurs mains selon la structure qu’il lui a donnée, c’est-à-dire

    séance du matin au Comité de Salut public : « Je vois bien que je suis seul et que personne ne me soutient », dit Robespierre, « et aussitôt il entre en fureur, il déclame avec violence contre les membres du Comité, qui ont conspiré, dit-il, contre lui. Ses cris étaient si forts que, sur les terrasses des Tuileries, plusieurs citoyens s’étaient rassemblés. » Ensuite, « il poussa l’hypocrisie jusqu’à répandre des larmes ». — Je crois plutôt que la machine nerveuse était à bout. Un autre membre du Comité, Prieur (Carnot, Mémoires, II, 525), raconte qu’en floréal, à la suite d’une autre scène très longue et très violente, « Robespierre épuisé se trouva mal ».

  1. Carnot, Mémoires, II, 526 : « Comme son bureau était établi dans un local séparé, et que nul de nous n’y mettait les pieds, il pouvait s’y rendre, et s’y rendait en effet, sans nous rencontrer. Il affectait même de traverser les salles du Comité après la séance, et il signait quelques pièces, ne s’abstenant réellement que de nos délibérations communes. Il avait chez lui de fréquentes conférences avec les présidents du Tribunal révolutionnaire, sur lequel son influence s’exerçait plus que jamais. » (Récit de Prieur.)