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LA RÉVOLUTION


le fou et le barbare reculent au second plan ; à la fin, Marat et Danton sont effacés ou s’effacent, et Robespierre seul en scène attire à lui tous les regards[1]. — Si l’on veut le comprendre, il faut le regarder en place et parmi ses alentours. Au dernier stade d’une végétation intellectuelle qui finit, sur le rameau terminal du dix-huitième siècle, il est le suprême avorton et le fruit sec de l’esprit classique[2]. De la philosophie épuisée, il n’a gardé que le résidu mort, des formules apprises, les formules de Rousseau, de Mably, de Raynal, sur « le peuple, la nature, la raison, la liberté, les tyrans, les factieux, la vertu, la morale », un vocabulaire tout fait[3], des expressions trop larges ; dont le sens, déjà mal fixé chez les maîtres, s’évapore aux mains du disciple. Jamais il n’essaye d’arrêter ce sens ; ses écrits et ses discours ne sont que des enfilades de sentences, abstraites et vagues ; pas un fait précis et plein ; pas un détail individuel et caractéristique, rien qui parle aux yeux et qui évoque une figure vivante, aucune observation personnelle et propre, aucune impression nette,

  1. Cf. passim Hamel, Histoire de Robespierre, 3 vol. C’est un panégyrique complet et détaillé. À quatre-vingt ans de distance, Robespierre, par son attitude et ses phrases, fait encore des dupes ; M. Hamel insinue deux fois qu’il ressemble à Jésus-Christ. En effet, il ressemble à Jésus-Christ, comme les Jésuites de Pascal ressemblent au Jésus de l’Évangile.
  2. L’Ancien régime, I, 315.
  3. Garat, Mémoires, 84. Garat, qui pourtant est aussi un idéologue, note « son rabâchage éternel sur les droits de l’homme, sur la souveraineté du peuple, sur les principes dont il parlait sans cesse, et sur lesquels il n’a jamais répandu une vue un peu exacte et un peu neuve. »