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LES GOUVERNANTS


« l’autorité reste aux plus scélérats. — Il vaut mieux être un pauvre pêcheur que de gouverner les hommes[1]. » — Mais il a prétendu les gouverner, il a construit le nouvel engin de gouvernement, et, sourde à ses cris, sa machine opère conformément à la structure et à l’impulsion qu’il lui a données. Elle est là debout devant lui, la sinistre machine, avec son énorme roue qui pèse sur la France entière, avec son engrenage de fer dont les dents multipliées compriment chaque portion de chaque vie, avec son couperet d’acier qui incessamment tombe et retombe ; son jeu, qui s’accélère, exige chaque jour une plus large fourniture de vies humaines, et ses fournisseurs sont tenus d’être aussi insensibles, aussi stupides qu’elle. Danton ne le peut pas, ne le veut pas. — Il s’écarte, se distrait, jouit, oublie[2] ; il suppose que les coupe-tête en titre consentiront peut-être à l’oublier ; certainement, ils ne s’attaqueront point à lui. « Ils n’oseraient »… « On ne me touche pas, moi : je suis l’arche. » Au pis, il aime mieux « être guillotiné que guillotineur ». — Ayant dit ou pensé cela, il est mûr pour l’échafaud.

III

Même avec la résolution ferme de rester le coupe-tête en chef, il ne serait pas le représentant parfait de la

  1. Riouffe, 67.
  2. Miot de Melito, Mémoires, I, 40, 42. — Michelet, Histoire de la Révolution française, VI, 134 ; V, 178, 184 (Sur le second mariage de Danton en juin 1793 avec une jeune fille de seize ans, et