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LES GOUVERNANTS


dans notre jardin moderne, il est le même que dans la vieille forêt ; sa sève intacte a gardé l’âpreté primitive, et ne produit point les bons fruits de notre civilisation, le sens moral, l’honneur et la conscience. Danton n’a ni le respect de lui-même, ni le respect d’autrui ; les délimitations précises et délicates qui circonscrivent la personne humaine lui semblent une convention de légistes et une bienséance de salon : comme un Clovis, il marche dessus, et, comme un Clovis, avec des facultés égales, avec des expédients pareils, avec une bande pire, il se lance à travers la société chancelante pour la démolir et la reconstruire à son profit.

Dès l’origine, il a compris le caractère propre et le procédé normal de la Révolution, c’est-à-dire l’emploi de la brutalité populaire : en 1788, il figurait déjà dans les émeutes. Dès l’origine, il a compris l’objet final et l’effet définitif de la Révolution, c’est-à-dire la dictature de la minorité violente : au lendemain du 14 juillet 1789, il a fondé dans son quartier[1] une petite république indépendante, agressive et dominatrice, centre de la faction, asile des enfants perdus, rendez-vous des énergumènes, pandémonium de tous les cerveaux incendiés et de tous les coquins disponibles, visionnaires et gens à poigne, harangueurs de gazette ou de carrefour, meurtriers de

  1. Le district des Cordeliers. — (Buchez et Roux, IV, 27). Délibération de l’assemblée du district des Cordeliers, 11 décembre 1789, pour justifier la présidence perpétuelle de Danton. Il est toujours réélu à l’unanimité : ceci est le premier signe de son ascendant. Quelquefois pourtant, sans doute pour éviter les apparences de dictature, il fait élire son maître clerc, Paré, que plus tard il fera ministre.
  la révolution. v.
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