Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 7, 1904.pdf/229

Cette page a été validée par deux contributeurs.
221
LES GOUVERNANTS

« en petite perruque ronde, en habit gris, la serviette sous le bras », circulait autour des tables avec un sourire, et sa fille siégeait au fond comme demoiselle de comptoir[1]. Danton a causé avec elle, et l’a demandée en mariage ; pour l’obtenir, il a dû se ranger, acheter une charge d’avocat au Conseil du Roi, trouver dans sa petite ville natale des répondants et des bâilleurs de fonds[2]. Une fois marié, logé dans le triste passage du Commerce, « chargé de dettes plus que de causes », confiné dans une profession sédentaire où l’assiduité, la correction, le ton modéré, le style décent et la tenue irréprochable étaient de rigueur, confiné dans un ménage étroit qui, sans le secours d’un louis avancé chaque semaine par le beau-père limonadier, n’aurait pu joindre les deux bouts[3], ses goûts larges, ses besoins alternatifs de fougue et d’indolence, ses appétits de jouissance et de domination, ses rudes et violents instincts d’expansion, d’initiative et d’action, se sont révoltés : il est impropre à la routine paisible de nos carrières civiles ; ce qui lui convient, ce n’est pas la discipline régulière d’une vieille société qui dure, mais la brutalité tumultueuse d’une société qui se défait ou d’une société qui se fait. Par tempérament et par

  1. Danton, par le Dr  Robinet, passim (Notice par Béon, condisciple de Danton. — Fragment par Rousselin de Saint-Albin.) — La Révolution, V, 42, note.
  2. Émile Bos, les Avocats au Conseil du Roi, 515, 520. (Contrat de mariage de Danton, et discussion de sa fortune. De 1787 à 1791, on ne le voit intervenir que dans trois affaires au Conseil des Parties.)
  3. Mme Roland, Mémoires (récit de Mme Danton à Mme Roland).