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LA RÉVOLUTION


travers les défiances et les attaques des Girondins qui veulent le déshonorer et le perdre, il s’obstine à leur tendre la main, il ne leur déclare la guerre que parce qu’ils lui refusent la paix[1], et il s’efforce de les préserver quand ils sont à terre. — Au milieu de tant de bavards et d’écrivailleurs dont la logique est verbale ou dont la fureur est aveugle, qui sont des serinettes à phrases ou des mécaniques à meurtres, son intelligence, toujours large et souple, va droit aux faits, non pour les défigurer et les tordre, mais pour s’y soumettre, s’y adapter et les comprendre. Avec un esprit de cette qualité, on va loin, n’importe dans quelle voie : reste à choisir la voie. Mandrin aussi, sous l’ancien régime, fut, dans un genre voisin, un homme supérieur[2] ; seulement, pour voie, il avait choisi le grand chemin.

Entre le démagogue et le brigand, la ressemblance est intime : tous les deux sont des chefs de bande, et chacun d’eux a besoin d’une occasion pour former sa bande ; pour former la sienne, Danton avait besoin de la Révolution. — « Sans naissance, sans protection », sans fortune, trouvant les places prises et « le barreau de Paris inabordable », reçu avocat après « des efforts », il a longtemps vagué et attendu sur le pavé ou dans les cafés, comme aujourd’hui ses pareils dans les brasseries. Au café de l’École, le patron, bonhomme

  1. Garat, Mémoires, 317. « Vingt fois, me disait-il un jour, je leur ai offert la paix ; ils ne l’ont pas voulue ; ils refusaient de me croire, pour conserver le droit de me perdre. »
  2. Cf. l’Ancien Régime, II, 286.