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LA RÉVOLUTION


produit, prévoir les contre-coups prochains et lointains, ne pas se repentir et ne pas s’entêter, accepter les crimes à proportion de leur efficacité politique, louvoyer devant les obstacles trop forts, s’arrêter ou biaiser, même au mépris des maximes qu’on étale, ne considérer les choses et les hommes qu’à la façon d’un mécanicien, constructeur d’engins et calculateur de forces[1], voilà les facultés dont il a fait preuve au 10 août, au 2 septembre, pendant la dictature effective qu’il s’est arrogée entre le 10 août et le 21 septembre, puis dans la Convention, dans le premier Comité de Salut public[2], au 31 mai et au 2 juin : on l’a vu à l’œuvre. Jusqu’au bout, en dépit de ses partisans, il a tâché de diminuer ou du moins de ne pas accroître les résistances que le gouvernement devait surmonter. Presque jusqu’au bout, en dépit de ses adversaires, il a tâché d’accroître ou au moins de ne pas détruire les puissances que le gouvernement pouvait employer. À travers les vociférations des clubs

  1. Un chef d’État peut se considérer comme le directeur d’un hospice de malades, d’aliénés et d’infirmes ; sans doute, pour régir son hospice, il fait bien de consulter le moraliste et le physiologiste ; mais, avant d’appliquer leurs préceptes, il doit se souvenir que tous les pensionnaires de son hospice, y compris les gardiens et lui-même, sont plus ou moins des malades, des infirmes et des aliénés.
  2. Sybel, Histoire de l’Europe pendant la Révolution française, traduction Dosquet, II, 303. « Nous pouvons déclarer dès à présent que ce furent ces mesures actives de Danton et du premier Comité de Salut public, jointes aux dissensions qui divisaient la Coalition, qui donnèrent à la République le pouvoir de résister à l’Europe. Nous verrons au contraire que toutes les mesures propres au parti de la Montagne, loin d’accélérer les armements, les ont entravés. »