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LA RÉVOLUTION


conspiré contre lui, et contre lui les complots n’ont jamais cessé. Il y eut d’abord le complot des philosophes : quand le traité de l’Homme fut expédié d’Amsterdam à Paris[1], « ils sentirent le coup que je portais à leurs principes et firent arrêter le livre à la douane ». Il y eut ensuite le complot des médecins : « ils calculaient avec douleur la grandeur de mes gains… Je prouverais, s’il en était besoin, qu’ils ont tenu des assemblées fréquentes pour aviser aux moyens les plus efficaces de me diffamer ». Il y eut enfin le complot des académiciens, « l’indigne persécution que l’Académie des Sciences n’a cessé de me faire pendant dix ans, lorsqu’elle se fut assurée que mes découvertes sur la lumière renversaient ses travaux depuis des siècles, et que je me souciais fort peu d’entrer dans son sein… Croirait-on que les charlatans de ce corps scientifique étaient parvenus à déprécier mes découvertes dans l’Europe entière, à soulever contre moi toutes les sociétés savantes, à me fermer tous les journaux[2] » ? — Naturellement, le soi-disant persécuté se défend, c’est-à-dire qu’il attaque. Naturellement, comme il est l’agresseur, on le repousse et on le réprime, et, après s’être forgé des ennemis imaginaires, il se fait des ennemis réels, surtout en politique où, par principe, il prêche tous les jours l’émeute et le meurtre. Naturellement enfin, il est poursuivi, décrété par le Châtelet, traqué par la police, obligé de fuir et d’errer de retraite en

  1. Chevremont, I, 40 (Lettres de Marat, 1783).
  2. Journal de la République française, n° 93.