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LA RÉVOLUTION


trueux ; il confine à l’aliéné, et il en offre les principaux traits, l’exaltation furieuse, la surexcitation continue, l’activité fébrile, le flux intarissable d’écriture, l’automatisme de la pensée et le tétanos de la volonté, sous la contrainte et la direction de l’idée fixe ; outre cela, les symptômes physiques ordinaires, l’insomnie, le teint plombé, le sang brûlé, la saleté des habits et de la personne[1], à la fin, et pendant les cinq derniers mois des dartres et des démangeaisons par tout le corps[2]. Issu de races disparates, né d’un sang mêlé et troublé par de profondes révolutions morales[3], il porte en lui un germe bizarre ; au physique, c’est un avorton ; au moral, c’est un prétendant, qui prétend aux plus grands rôles. Dès la première enfance, son père, médecin, l’a destiné à être un savant ; sa mère, idéaliste, l’a préparé pour être un philanthrope, et, de lui-même, il a toujours

  1. Harmand (de la Meuse), Anecdotes relatives à la Révolution. « Il s’habillait à peu près comme un cocher de fiacre malaisé… Son regard était inquiet et toujours en action ; ses mouvements étaient courts, rapides, et par saccades ; une mobilité continuelle donnait à ses muscles et à ses traits une contraction convulsive qui s’étendait jusque sur sa marche : il ne marchait pas, il sautait. »
  2. Chevremont, Jean-Paul Marat ; et Alfred Bougeart, Marat, passim. Ces deux ouvrages sont des panégyriques bien documentés de Marat. — Bougeart, I, 11 (Portrait de Marat, par Fabre d’Églantine) ; I, 83, et II, 259. — Journal de la République française, par Marat, n° 93, 9 janvier 1793. « Sur vingt-quatre heures, je n’en donne que deux au sommeil et une seule à la table, à la toilette et aux soins domestiques… Il y a plus de trois années que je n’ai pris un quart d’heure de récréation. »
  3. Chevremont, I, pages 1 et 2. Sa famille paternelle était espagnole, établie depuis longtemps en Sardaigne. Son père, le Dr Jean Mara, ayant quitté le catholicisme, vint à Genève, y épousa une Genevoise, et s’établit dans le canton de Neufchâtel.