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LA RÉVOLUTION


par la disproportion de leurs facultés et de leur rôle, des esprits faux dont l’éducation est superficielle, la compétence nulle et l’ambition illimitée, des consciences perverties, ou calleuses, ou mortes, détraquées par le sophisme, ou endurcies par l’orgueil, ou tuées par le crime, par l’impunité et par le succès.

Ainsi, tandis que les autres despotes, pour soulever un poids médiocre, appellent à eux l’élite ou la majorité de la nation, utilisent les plus grandes forces du pays, et allongent leur levier tant qu’ils peuvent, les Jacobins, qui veulent soulever un poids énorme, repoussent loin d’eux l’élite et la majorité de la nation, écartent les plus grandes forces du pays, et raccourcissent leur levier autant qu’il est possible. Ils n’en gardent en main que le dernier bout, l’extrémité grossière et rude, le coin de fer qui grince et qui broie, je veux dire la force physique, la lourde main du gendarme qui s’abat sur l’épaule du suspect, les verrous que le geôlier tire sur le détenu, les coups de crosse que le sans-culotte assène sur les reins du bourgeois pour le faire marcher droit et vite, mieux encore, le coup de pique du septembriseur dans le ventre de l’aristocrate, et la chute du couperet sur la tête emboîtée dans le demi-cercle de la guillotine. — Tel est désormais leur seul engin de gouvernement, car ils se sont retiré les autres. Ils sont tenus d’étaler leur engin, car il n’est efficace qu’à condition d’installer à demeure dans toutes les imaginations son image sanglante : si le roi nègre ou le pacha veut que toutes les têtes se courbent sur son passage, il