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LA RÉVOLUTION


violences des fanatiques, il protégeait les anabaptistes à l’égal de ses indépendants, il accordait aux presbytériens des cures payées et l’exercice public de leur culte, aux épiscopaux une large tolérance et l’exercice privé de leur culte ; il maintenait les deux grandes universités anglicanes, et il permettait aux juifs de bâtir une synagogue. — Au siècle suivant, Frédéric II enrôlait dans son armée tout ce qu’il pouvait nourrir de paysans valides ; il les tenait chacun vingt ans au service, sous une discipline pire que l’esclavage, avec la perspective d’une mort à peu près certaine, et, dans sa dernière guerre, il faisait tuer environ un sixième de ses sujets mâles[1] ; mais c’étaient des serfs, et sa conscription n’atteignait pas les bourgeois. Il prenait, dans la poche des bourgeois et dans les autres poches, tout l’argent qu’il pouvait prendre ; même, au besoin, il faisait de la fausse monnaie et ne payait plus ses fonctionnaires ; mais, sous ses yeux toujours ouverts, l’administration était probe, la police bien faite, la justice bien rendue, la tolérance illimitée, et la liberté d’écrire complète : le roi laissait imprimer contre lui les pamphlets les plus mordants, et permettait qu’à Berlin même on les mît en vente. — Un peu auparavant, dans le grand empire de l’Est[2], Pierre le Grand, le fouet à la main, faisait manœuvrer et danser à l’européenne ses ours moscovites ; mais c’étaient des ours, accoutumés, de père en

  1. Seeley, Life and times of Stein, 143. — Macaulay, Biographical Essays, Frederic the Great, 33, 35, 87, 92.
  2. Eugène Schuyler, Peter the Great, 2 vol.