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LA RÉVOLUTION


transformer par contrainte tous ses membres en Spartiates ou en Jésuites, alors, avec des frais énormes, non seulement il démolit les fontaines privées et fait sur tout le territoire des dégâts incalculables, mais encore il dessèche sa propre source. Nous n’aimons l’État que pour les services qu’il nous rend et en proportion de ces services, en proportion de la sécurité qu’il nous donne et de la liberté qu’il nous assure, à titre de bienfaiteur universel ; lorsque, de parti pris, il nous blesse dans nos plus chers intérêts et dans nos plus vives affections, lorsqu’il nous poursuit jusque dans notre honneur et dans notre conscience, lorsqu’il devient le malfaiteur universel, au bout d’un temps notre amour se tourne en haine. Si ce régime se maintient, le patriotisme s’appauvrit, tarit, puis, après lui, une à une, les autres bonnes sources ; à la fin, on ne voit plus dans le pays que des mares croupissantes ou des inondations brusques, des administrés ou des brigands. Comme dans l’Empire Romain au quatrième siècle, comme en Italie au dix-septième siècle, comme de nos jours dans les provinces turques, il reste un troupeau mal conduit, des êtres rabougris, engourdis, bornés au besoin quotidien et à l’instinct animal, indifférents au bien public et à leur intérêt lointain, déchus jusqu’à oublier leurs propres inventions, à désapprendre leurs sciences, leurs arts, leurs industries, bien pis, des âmes gâtées, menteuses et basses, sans honneur ni conscience. Rien de plus destructeur que l’ingérence illimitée de l’État, même sage et paternel : au Paraguay,