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LA RÉVOLUTION


mique et le plus productif, le mieux outillé et le mieux dirigé qu’il se pourra, à ce point de vue encore, avec ce but accessoire et subordonné, le domaine de l’État n’est guère moins restreint : il y a bien peu de fonctions nouvelles à lui attribuer ; presque toutes les autres seront mieux remplies par les individus libres, par les sociétés naturelles ou par les associations volontaires. — Considérez un homme qui travaille à son compte, agriculteur, industriel ou marchand, et voyez de quel cœur il s’attelle à sa besogne. C’est que son intérêt et son amour-propre y sont engagés ; il s’agit de son bien-être et du bien-être des siens, de son capital, de sa réputation, de son rang et de son avancement dans le monde ; de l’autre côté sont la gêne, la ruine, la déchéance, la dépendance, la faillite et l’hôpital. Devant cette alternative, il se tient en garde et il s’ingénie ; il pense à son affaire, même au lit et à table ; il l’étudie, non pas de loin, spéculativement, en gros, mais sur place, pratiquement, en détail, dans ses alentours et ses appendices, par un calcul incessant des difficultés et des ressources, avec un tact si aiguisé et des informations si personnelles, que, pour tout autre à côté de lui, le problème quotidien qu’il résout serait insoluble, parce que nul autre n’en possède et n’en mesure, comme lui, les éléments précis. — À cette ardeur unique et à cette compétence singulière, comparez la capacité banale et la régularité languissante d’un chef administratif, même expert et honnête. Il est sûr de toucher ses appointements, pourvu qu’il fasse passablement son service, et