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LE PROGRAMME JACOBIN


subsiste encore aujourd’hui. Comment elle s’est constituée, par quelles violences primitives, à travers quels accidents et quels conflits, en quelles mains elle est maintenant déposée, si c’est à perpétuité ou à temps, selon quelles règles elle se transmet, si c’est par hérédité ou par élection, cela n’est que d’un intérêt secondaire ; l’important est son office et la façon dont elle le remplit. Par essence, elle est une grande épée, tirée du fourreau et levée au milieu des petits couteaux avec lesquels les particuliers s’égorgeaient autrefois les uns les autres. Sous sa menace, les couteaux sont rentrés dans leur gaine ; ils y sont devenus immobiles, inutiles, puis s’y sont rouillés : à présent, sauf les malfaiteurs, tout le monde a perdu l’habitude et l’envie de s’en servir, et désormais, dans la société pacifiée, l’épée publique est si redoutable, que toute résistance privée tombe à sa seule approche. — Deux intérêts l’ont forgée : il en fallait une de cette taille, d’abord contre les glaives pareils que les autres sociétés brandissent à la frontière, ensuite contre les couteaux que les passions mauvaises ne cessent jamais d’affiler à l’intérieur. On a voulu être défendu contre les ennemis du dehors, contre les meurtriers et les voleurs du dedans, et lentement, péniblement, après beaucoup de tâtonnements et de refontes, le concours héréditaire des volontés persistantes a fabriqué la seule arme capable de protéger efficacement les propriétés et les vies. — Tant qu’elle ne sert qu’à cela, je suis le débiteur de l’État, qui en tient la poignée : il me donne la sécurité que, sans lui, je n’aurais