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LA RÉVOLUTION


l’État, même quand il en préférait une, a dû tolérer les autres. Enfin, par le développement du protestantisme, de la philosophie et des sciences, les croyances spéculatives se sont multipliées ; il y en a aujourd’hui presque autant que d’esprits pensants, et, comme les esprits pensants deviennent chaque jour plus nombreux, les opinions deviennent chaque jour plus nombreuses : d’où il suit que, si l’État en imposait une, il en révolterait contre lui une infinité d’autres ; ce qui le conduit, s’il est sage, d’abord à demeurer neutre, ensuite à reconnaître qu’il n’a pas qualité pour intervenir. — En second lieu, la guerre est devenue moins fréquente et moins malfaisante, parce que les hommes n’ont plus autant de motifs pour se la faire, ni les mêmes motifs pour la pousser à bout. Jadis elle était la principale source de la richesse : par la victoire on acquérait des esclaves, des sujets, des tributaires ; on les exploitait, on jouissait à loisir de leur travail forcé. Rien de semblable aujourd’hui ; on ne songe plus à se procurer du bétail humain ; on a découvert qu’il est entre tous le plus incommode, le moins productif et le plus dangereux. Par le travail libre et par les machines, on arrive plus vite et plus sûrement au bien-être ; le grand objet n’est plus de conquérir, mais de produire et d’échanger. Chaque jour, l’homme s’élance plus avant dans les carrières civiles et souffre plus difficilement qu’on les lui barre ; s’il consent encore à être soldat, ce n’est pas pour envahir, c’est pour se prémunir contre l’invasion. Cependant, par la complication de l’outillage, la guerre, en devenant plus savante,