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LA RÉVOLUTION


fixe. Un type a été tracé ; sinon par la logique, du moins par la tradition ; chaque vie et chaque portion de chaque vie doivent s’y conformer ; autrement le salut public est compromis : un relâchement dans l’éducation gymnastique affaiblit l’armée ; un passant, qui refuse aux effigies des dieux la libation accoutumée, attire sur la cité la colère céleste. En conséquence, pour réprimer les écarts, l’État, maître absolu, exerce une juridiction sans limites ; il n’y a rien d’indépendant chez l’individu, aucune parcelle réservée, pas un coin abrité contre la haute main des pouvoirs publics, ni son bien, ni ses enfants, ni sa personne, ni ses opinions, ni sa conscience[1]. Si aux jours de vote il est membre du souverain, il est sujet tout le reste de l’année, et jusque dans son for intime. À cet effet, Rome avait deux censeurs ; un des archontes d’Athènes était inquisiteur pour la foi ; Socrate fut mis à mort, « comme ne croyant pas aux Dieux auxquels croyait la ville[2] ». — Au fond, non seulement en Grèce et à Rome, mais en Égypte, en Chine, dans l’Inde, en Perse, en Judée, au Mexique, au Pérou, dans toutes les civilisations de première pousse[3],

  1. Fustel de Coulanges, la Cité antique, ch. xvii.
  2. Platon, Apologie de Socrate. — Voir aussi, dans le Criton, les raisons de Socrate pour ne pas fuir et pour subir sa peine ; l’idée antique de l’État y est très nettement exprimée.
  3. Cf. les Lois de Manou, le Zend-Avesta, le Pentateuque et le Tchéou-li. Dans ce dernier code (traduction de Biot), on trouvera la perfection du système, notamment I, 241, 247 ; II, 393 ; III, 9, 11, 21, 52 : « Chaque chef d’arrondissement, le premier jour de la première lune, réunit les hommes de son arrondissement, leur lit les tableaux des règlements ; il examine leur vertu, leur conduite, leur progrès dans la bonne voie et dans les sciences,