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LA RÉVOLUTION


Louis XIV. — Cromwell et Frédéric II. — Pierre le Grand et les Sultans. — Proportion de la masse qu’ils soulèvent et des forces dont ils disposent. — Disproportion de la masse que les Jacobins veulent soulever et des forces dont ils disposent. — Ineptie de leur entreprise. — Pour engin de gouvernement, ils n’ont gardé que la force physique. — Ils sont tenus de l’étaler. — Ils sont tenus d’en abuser. — Caractère de leur gouvernement — Caractère requis chez leurs chefs.

I

Construction logique d’un type humain réduit, effort pour y adapter l’individu vivant, ingérence de l’autorité publique dans toutes les provinces de la vie privée, contrainte exercée sur le travail, les échanges et la propriété, sur la famille et l’éducation, sur la religion, les mœurs et les sentiments, sacrifice des particuliers à la communauté, omnipotence de l’État, telle est la conception jacobine. Il n’en est point de plus rétrograde, car elle entreprend de ramener l’homme moderne dans une forme sociale que, depuis dix-huit siècles, il a traversée et dépassée. — Pendant la période historique qui a précédé la nôtre, et notamment dans les vieilles cités grecques ou latines, à Rome et à Sparte que les Jacobins prennent pour modèles[1], la société humaine était taillée sur le patron d’une armée ou d’un couvent. Dans un couvent comme dans une armée, règne une idée absorbante et unique : à tout prix, le moine veut plaire à Dieu ; à tout prix, le soldat veut remporter la victoire ; c’est pourquoi

  1. Buchez et Roux, XXXII, 354 (Discours de Robespierre à la Convention, 18 floréal an II). « Sparte brille comme un éclair parmi des ténèbres immenses. »