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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


meurtre engendre le meurtre : un gentilhomme, M. d’Alespée, vient d’être assassiné à Nérac. « Tous les citoyens un peu marquants lui ont fait un rempart de leurs corps ; » mais la canaille a prévalu, et les meurtriers, « par leur obscurité, » échappent aux recherches. — Le doigt du ministre s’arrête sur Bordeaux : là les fêtes de la Fédération ont été signalées par un triple assassinat[1]. Pour laisser passer ce moment dangereux, M. de Langoiran, vicaire général de l’archevêché, s’était retiré à une demi-lieue, dans le village de Caudéran, chez un prêtre octogénaire qui, comme lui, ne s’était jamais mêlé des affaires publiques. Le 15 juillet, les gardes nationaux du village, échauffés par les déclamations de la veille, sont venus les prendre tous deux à domicile, et avec eux, par surcroît, un troisième prêtre du voisinage. Nul prétexte contre eux ; ni les officiers municipaux ni le juge de paix, devant lesquels on les conduit, ne peuvent s’empêcher de les déclarer innocents. En dernier ressort, on les conduit à Bordeaux devant le directoire du département. Mais le jour baisse, et la cohue ameutée manque de patience ; elle se jette sur eux. L’octogénaire « reçoit tant de coups qu’il est impossible qu’il en revienne » ; l’abbé du Puy est assommé et traîné par une corde qu’on lui attache au pied ; la tête de M. de Langoiran est coupée, on la promène sur une pique, on la porte chez lui, on la présente à sa servante en lui disant « que son maître ne viendra pas souper ». La passion des trois prêtres a

  1. Mercure de France, no du 28 juillet. Lettres de Bordeaux.