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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


danger continu, deviendront au bout d’un an de bons soldats. Mais, en attendant, le dégât qu’ils font n’est pas moindre ; car s’ils sont moins voleurs, ils sont plus fanatiques. Rien de si délicat que l’institution militaire : par cela seul qu’il a la force, l’homme est toujours tenté d’abuser de la force ; pour qu’un corps franc reste inoffensif au milieu de la population civile, il faut qu’il soit retenu par les freins les plus forts, et tous les freins, intérieurs ou extérieurs, manquent aux volontaires de 1792[1].

Artisans, paysans, petits bourgeois, jeunes gens enthousiastes et enflammés par la doctrine régnante, ils sont encore plus jacobins que patriotes. Le dogme de la souveraineté du peuple, comme un vin fumeux, a enivré leur cerveau novice ; ils se sont persuadé « que l’honneur d’être destinés à combattre les ennemis de la république les autorise à tout exiger et à tout oser[2] ». Le moindre d’entre eux se croit au-dessus des lois, « comme jadis un Condé[3] », et devient un roi au petit pied, institué par lui-même, un autocrate justicier et redresseur de torts, appui des patriotes et fléau des aristocrates, qui dispose des biens et des vies et, sans formalités ni délais, se charge, dans les villes qu’il tra-

  1. C. Rousset, 47. Lettre du directoire de la Somme, 26 février 1792.
  2. Archives nationales, F7, 3270. Délibération du conseil général de la commune de Roye, 8 octobre 1792 (à propos des violences exercées par deux divisions de gendarmerie parisienne pendant leur passage, les 6, 7 et 8 octobre).
  3. Moore, I, 338 (8 septembre 1792).