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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


verture, arrache le cœur, « et le porte à sa bouche comme pour le dévorer ». « Le sang, dit un témoin oculaire, dégouttait de sa bouche et lui faisait une sorte de moustache[1]. » À la Force on dépèce Mme de Lamballe ; ce qu’a fait le perruquier Charlot qui portait sa tête, je ne puis l’écrire ; je dirai seulement qu’un autre, rue Saint-Antoine, portait son cœur et « le mordait[2] ».

Ils tuent et ils boivent ; puis ils tuent encore et ils boivent encore. La lassitude vient et l’hébétement commence. Un d’eux, garçon charron, en a expédié dix-sept pour sa part ; un autre « a tant travaillé la marchandise, que la lame de son sabre y est restée » ; « depuis deux heures, dit un fédéré, que j’abats des membres de droite et de gauche, je suis plus fatigué qu’un maçon qui bat du plâtre depuis deux jours[3] ». Leur première colère s’est usée, maintenant ils frappent en automates[4]. Quelques-uns dorment étendus sur des bancs. D’autres, en tas, cuvent leur vin à l’écart. La vapeur du carnage est si forte, que le président du comité civil s’évanouit sur sa

  1. Mortimer-Ternaux, III, 257. Procès des septembriseurs, déposition de Roussel. — Ib., 628.
  2. Ib., 633. Déposition de la femme Millet. — Weber, II, 350. — Roch Marcandier, 197, 198, — Retif de la Bretonne, 381.
  3. Maton de la Varenne, 150. — Granier de Cassagnac, 508, 515. Procès des septembriseurs, affaires Sainte-Foy, Debêche. — Ib., 508, 513. Affaires Corlet, Crappier, Ledoux.
  4. Sur ce geste machinal et meurtrier, cf. Dusaulx, Mémoires, 440. Il harangue en faveur des prisonniers, et le peuple touché lui tend les bras. « Mais déjà les bourreaux me frappaient les joues avec le fer de leurs piques d’où pendaient des lambeaux de chair palpitante. D’autres voulaient me couper la tête. C’en était fait, sans deux gendarmes qui les retinrent. »