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LA RÉVOLUTION


rencontre aujourd’hui chez les gens de leur état.

Au commencement surtout, nul ne songe à remplir ses poches. À l’Abbaye, ils apportent fidèlement sur la table du comité civil les portefeuilles et les bijoux des morts[1]. S’ils s’approprient quelque chose, ce sont des souliers pour leurs pieds nus, et encore après en avoir demandé la permission. Quant au salaire, toute peine en mérite un, et d’ailleurs, entre eux et leurs embaucheurs, c’est chose convenue. N’ayant pour vivre que leurs bras, ils ne peuvent pas donner leur temps gratis[2], et, comme la besogne est rude, la journée doit leur être comptée double. Il leur faut 6 francs par jour, outre la nourriture et du vin à discrétion ; un seul traiteur en fournira 346 pintes aux hommes de l’Abbaye[3] : dans un travail qui ne s’interrompt ni de jour ni de nuit et qui ressemble à celui des égoutiers ou des équarrisseurs, il n’y a que cela pour mettre du cœur au ventre. — Fournitures et salaire, la nation payera, puisque c’est pour elle

  1. Sicard, 86, 87. 101. — Jourdan, 125 : « Le président du comité de surveillance me répliqua que ces gens-là étaient de très honnêtes gens, que, la veille ou l’avant-veille, un d’entre eux s’était présenté à leur comité en veste et en sabots ; tout couvert de sang, qu’il leur avait présenté dans son chapeau 25 louis en or qu’il avait trouvés sur une personne qu’il avait tuée. » — Autre trait de probité, dans le Procès-verbal du conseil général de la commune de Versailles, 367, 371. — Le lendemain, 3 septembre, les vols commencent, puis se multiplient.
  2. Méhée, 179 : « Croyez-vous que je n’ai gagné que 24 livres ? disait hautement un garçon boulanger armé d’une massue. J’en ai tué plus de quarante pour ma part. »
  3. Granier de Cassagnac, II, 155. — Cf. ib., 202-209, détails sur le repas des manœuvres et sur le festin plus délicat de Maillard et de ses assesseurs.