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LA RÉVOLUTION


Non qu’il soit vindicatif ou sanguinaire par nature ; tout au rebours : avec un tempérament de boucher, il a un cœur d’homme, et tout à l’heure, au risque de se compromettre, contre la volonté de Marat et de Robespierre, il sauvera ses adversaires politiques, Duport, Brissot, les Girondins, l’ancien côte droit[1]. Non qu’il soit aveuglé par la peur, la haine ou la théorie : avec les emportements d’un clubiste, il a la lucidité d’un politique, il n’est pas dupe des phrases ronflantes qu’il débite, il sait ce que valent les coquins qu’il emploie[2] ; il n’a d’illusion ni sur les hommes, ni sur les choses, ni sur autrui, ni sur lui-même ; s’il tue, c’est avec une pleine conscience de son œuvre, de son parti, de la si-

    vous aurez le même poste, pas sous Kellermann, mais sous Dumouriez. Cela vous va-t-il ? » — Le jeune homme, enchanté, remercie. L’autre reprend : « Un conseil avant votre départ. Vous avez du talent, vous arriverez ; mais défaites-vous d’un défaut : vous parlez trop ; vous êtes à Paris depuis vingt-quatre heures, et déjà, plusieurs fois, vous avez blâmé l’affaire de septembre. Je le sais, je suis informé. — Mais c’est un massacre ; peut-on s’empêcher de trouver qu’il est horrible ? — C’est moi qui l’ai fait. Tous les Parisiens sont des j… f… Il fallait mettre une rivière de sang entre eux et les émigrés. Vous êtes trop jeune pour comprendre de telles choses. Retournez à l’armée, c’est le seul poste aujourd’hui pour un homme comme vous et de votre rang. Vous avez un avenir ; mais n’oublies pas qu’il faut vous taire. » (Récit de M. Le duc d’Aumale). (Note des Éditeurs.)

  1. Hua, 167. Récit de son hôte, le médecin Lambry, ami intime de Danton, très fanatique et membre d’un comité où l’on avait examiné s’il fallait tuer aussi les membres du côté droit : « Danton avait repoussé avec force cette proposition sanguinaire. » — On sait, dit-il, que je ne recule pas devant le crime quand il est nécessaire, mais je le dédaigne quand il est inutile. »
  2. Mortimer-Ternaux, IV, 437. Mot de Danton à propos des commissaires « effervescents » qu’il envoyait dans les départements. « Eh ! f…! croyez-vous qu’on vous enverra des demoiselles ? »