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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


« but ; une voix sépulcrale sort de sa bouche, et, quand il a parlé, sa figure ne reprend son assiette qu’après des vibrations dans les traits ; il donne de l’œil par trois fois, et son visage reprend son équilibre[1]. » — Marat, Hébert et Henriot, le fou, le coquin et la brute, sans le couteau de Charlotte Corday, il est presque probable que ce trio, maître de la presse et de la force armée, aidé de Jacques Roux, Leclerc, Vincent, Ronsin et des enragés des bas-fonds, aurait écarté Danton, supprimé Robespierre et gouverné la France. Tels sont les conseillers, les favoris et les meneurs de la classe gouvernante[2] ; si l’on ne savait pas ce que pendant quatorze mois elle va faire, on pourrait, d’après sa qualité, se figurer son gouvernement.

Et pourtant, ce gouvernement, tel qu’il est, la France l’accepte ou le subit. — À la vérité, par un premier mouvement d’horreur, Lyon, Marseille, Toulon, Nîmes, Bordeaux, Caen, d’autres villes encore, qui se sentent le couteau sur la gorge[3], détournent le coup, se soulèvent

  1. Schmidt, II, 85. Rapport de Dutard, 24 juin (sur la revue passée la veille) : « Une espèce d’artisan du bas rang, qui m’a paru avoir été soldat. Il m’a paru n’avoir fréquenté que des hommes désordonnés ; je suis sûr qu’on trouverait en lui l’amour du jeu, du vin, des femmes, et tout ce qui peut constituer un mauvais sujet. »
  2. Barbaroux, 12 : « Le mouvement imprimé à la révolution tend à faire disparaître les hommes de bien, et à porter au timon des affaires les hommes les plus gangrenés d’ignorance et de vices. »
  3. Lauvergne, Histoire de la Révolution dans le département du Var, 176. À Toulon, « l’esprit contre-révolutionnaire ne fut autre chose que le sentiment de la conservation individuelle. » —