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LA RÉVOLUTION


« en bandoulière. Des bouteilles étaient jetées çà et là ; des morceaux de pain, des débris de viande, des os jonchaient le plancher ; l’odeur était infecte ; » c’est l’aspect d’un tapis franc. Là, le chef de bande n’est pas Chaumette, qui a des scrupules de légalité[1], ni Pache, qui louvoie en sournois sous le masque de son flegme suisse, mais un autre Marat, plus grossier et surtout plus vil, Hébert, qui profite de l’occasion « pour mettre de la braise dans les fourneaux de son Père Duchesne », tiré à 600 000 exemplaires, se fait donner 135 000 livres comme prix des numéros adressés aux armées, et gagne 75 pour 100 sur la fourniture[2]. — Dans la rue, le personnel actif se divise en deux bandes, l’une militaire, l’autre civile, la première composée des tape-dur qui tout à l’heure fourniront l’armée révolutionnaire. « Cette armée[3], qu’on croit une institution

  1. Schmidt, I, 370. — Mortimer-Ternaux, VII, 391. Lettre de Marchand, membre du Comité central : « J’ai vu Chaumette faire tous ses efforts pour entraver cette révolution glorieuse… crier, pleurer, s’arracher les cheveux. » — Buchez et Roux, XXVIII, 46. Selon Saladin, Chaumette alla jusqu’à demander l’arrestation d’Hébert.
  2. Mortimer-Ternaux, VII, 300. — Cf. Le vieux Cordelier, par C. Desmoulins, n° 5.
  3. Mallet du Pan, II, 52 (8 mars 1794). — Le général en titre de l’armée révolutionnaire fut Ronsin : « Avant la révolution, c’était un auteur de grenier, travaillant pour vivre et bornant sa gloire aux tréteaux des boulevards… Un jour, on vint lui dire : « Votre état-major se conduit bien mal ; aux spectacles et partout il exerce une tyrannie exécrable ; il bat les femmes, met leur bonnet en pièces. Votre troupe vole, pille, massacre. » Il répondit : « Que voulez-vous que j’y fasse ? Je sais comme vous que c’est un ramas de brigands ; mais il me faut de ces coquins-là pour mon armée révolutionnaire. Trouvez-moi des honnêtes gens qui veuil-