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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


« délibérations ; plus de cent cinquante ont même fui et disparu[1] » ; des muets, des fugitifs, des détenus, des condamnés, voilà son œuvre, et, dans la soirée du 2 juin, son ami de cœur, son directeur de conscience, l’avorton crasseux, charlatan, monomane et meurtrier qui lui verse tous les matins le poison politique, Marat, a obtenu enfin le pouvoir discrétionnaire que depuis quatre ans il demandait, celui de Marius et de Sylla, celui d’Octave, Antoine et Lépide, le pouvoir de rayer ou d’inscrire des noms sur la liste des proscrits : « à mesure qu’on lisait, il indiquait des retranchements ou des augmentations, et le lecteur effaçait ou ajoutait des noms sur sa simple indication, sans que l’Assemblée fût aucunement consultée[2] » : — À l’Hôtel de Ville, le 3 juin, dans la salle de la Reine, Pétion et Guadet, arrêtés, voient de leurs yeux ce comité central qui vient de lancer l’insurrection et qui, par une délégation extraordinaire, trône au-dessus de toutes les autorités établies. « Ils ronflaient[3], les uns étendus sur les bancs, les autres les coudes appuyés sur la table ; les uns étaient nu-pieds, les autres avaient leurs souliers en pantoufles, presque tous mal vêtus, malpropres, tout déboutonnés, les cheveux hérissés, des figures affreuses, des pistolets à leurs ceintures, des sabres et des écharpes

  1. Mortimer-Ternaux, VII. Lettre du député Laplaigne, 6 juillet.
  2. Meillan, 51. — Buchez et Roux, XXVII, 356. Procès-verbaux de la Commune, séance du 1er  juin. Dans l’après-midi, Marat vient à la Commune, harangue le conseil général, et donne le dernier coup d’épaule à l’insurrection. — Visiblement il a eu dans ces deux journées (1er  et 2 juin) le premier rôle.
  3. Pétion, 116.


  la révolution. iv.
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