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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


commandant du bataillon du Jardin-des-Plantes, Henriot, rencontrant des ouvriers du port, leur dit de sa voix rauque : « Bonjour, camarades ; nous aurons bientôt besoin de vous, et pour un meilleur ouvrage ; ce n’est pas du bois, ce sont des cadavres que vous transporterez dans votre tombereau. — Eh bien, eh bien, c’est bon, répond un manœuvre, d’un ton demi-ivre ; nous ferons comme nous avons déjà fait le 2 septembre ; cela nous fera gagner des sous. » — « On fabrique des poignards chez Cheynard, maître serrurier, machiniste de la Monnaie…, et les femmes des tribunes en ont déjà reçu deux cents. » — Enfin, le 29 mai, aux Jacobins[1], Hébert propose « de courir sus aux membres de la commission des Douze », et un autre Jacobin déclare que « ceux qui ont usurpé le pouvoir dictatorial », entendez par là les Girondins, « sont fiers de la loi ».

Tout cela est excessif, maladroit, inutile, dangereux, ou du moins prématuré, et les chefs de la Montagne, Danton, Robespierre, Marat lui-même, mieux informés et moins bornés, comprennent qu’un massacre brut révolterait les départements déjà à demi soulevés[2]. Il ne faut pas casser l’instrument législatif, mais l’employer : on se servira de lui pour pratiquer sur lui la mutilation

  1. Bergoeing, Pièces, etc., 195. — Buchez et Roux, XXVII, 296.
  2. L’insurrection de Lyon est du 29 mai. Le 2 juin, on annonce à la Convention que l’armée des insurgés de la Lozère, forte de plus de 30 000 hommes, s’est emparée de Marvejols et va prendre Mende (Buchez et Roux, XXVII, 387). — Adresse menaçante de Bordeaux (14 mai) et des trente-deux sections de Marseille (25 mai) contre les Jacobins (Buchez et Roux. XXVII, 3 et 214). — Cf. Robinet, le Procès des Dantonistes, 303, 305.