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LA RÉVOLUTION


il faut avant tout un gouvernement qui leur fournisse des millions et des armées, partant une Convention unanime et sans scrupules, c’est-à-dire, puisqu’il n’y a pas d’autre expédient, une Convention contrainte, c’est-à-dire enfin une Convention purgée de ses orateurs incommodes et dissidents[1], en d’autres termes la dictature de la populace parisienne. Dès le 15 décembre 1792, Cambon s’y est résigné, et même il a érigé le terrorisme populacier en système européen ; à partir de cette date[2], il prêche la sans-culotterie universelle, un régime qui, pour administrateurs, aura les pauvres et, pour contribuables, les riches, bref le rétablissement des privilèges en sens inverse ; c’est que le futur mot de Siéyès est déjà vrai : il ne s’agit plus d’appliquer les

  1. Le Maréchal Davout, par Mme de Blocqueville. Lettre de Davout, chef de bataillon, 2 juin 1793 : « L’âme de Le Peletier est passée dans les nôtres ; c’est assez vous dire quelles sont nos opinions et quelle sera notre conduite dans la crise où va peut-être nous plonger de nouveau une faction qui cherche à mettre la guerre civile entre les départements et Paris… Perfide éloquence… Tartufes modérés. »
  2. Moniteur, XIV, 758. Rapport de Cambon, 15 décembre, « sur la conduite à tenir par les généraux français dans les pays occupés par les armées de la république. » Cette pièce essentielle est le vrai manifeste de la Révolution. — Buchez et Roux, XXVII, 140, séance du 20 mai, et XXVI, 177, séance du 27 avril, discours de Cambon : « Le département de l’Hérault a dit à tel individu : « Tu es riche, tu as une opinion qui nous occasionne des dépenses… Je veux t’enchaîner malgré toi à la révolution ; je veux que tu prêtes ta fortune à la république, et, quand la liberté sera établie, la république te rendra tes capitaux. » — « Je voudrais donc qu’imitant le département de l’Hérault, la Convention ouvrît un emprunt civique d’un milliard qui serait rempli par les égoïstes et les indifférents. » — Décret du 20 mai, « rendu à la presque unanimité » : « Il y aura un emprunt forcé d’un milliard sur les citoyens riches. »