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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


Robespierre, « leur cœur, maigri d’épouvante[1] », leur remontera jusque dans la gorge. Bien avant la chute des Girondins, « atterrés du présent, ne trouvant plus dans leur âme aucun ressort », ils laissent déjà voir sur leur visage « la pâleur de la crainte ou l’abandon du désespoir[2] ». Cambacérès louvoie, puis se réfugie dans son comité de législation[3]. Barère, né valet et valet à tout faire, met sa faconde méridionale au service de la majorité probable, jusqu’au moment où il mettra sa rhétorique atroce au service de la minorité maîtresse. Siéyès, après avoir voté la mort, entre dans un silence obstiné, autant par dégoût que par prudence : « Qu’importe, dit-il, le tribut de mon verre de vin dans ce torrent de rogomme[4] ? » — Plusieurs, même dans la Gironde, colorent à leurs propres yeux leurs concessions par des sophismes. Il y en a qui, « se croyant quelque popularité, craignent de la compromettre[5]. Parfois on prétexte la nécessité de conserver son influence pour des circonstances importantes. Quelquefois on affecte de dire ou même on dit de bonne foi : Laissez

  1. Mot de Dusaulx dans les Fragments pour servir à l’histoire de la Convention.
  2. Mme Roland, Mémoires, édition Barrière et Berville, II, 52. (Note de Roland.)
  3. Moniteur, XV, 187. Vote de Cambacérès : « Louis a encouru les peines établies contre les conspirateurs par le Code pénal… Il faut suspendre l’exécution jusqu’à la cessation des hostilités ; en cas d’invasion du territoire français par les ennemis de la république, le décret sera mis à exécution. » — Sur Barère, voyez le terrible article de Macaulay (Biographical Essays).
  4. Sainte-Beuve, Causeries de lundi, V, 209. (Siéyès, d’après ses papiers inédits.)
  5. Mme Roland, II, 56. (Note de Roland.)