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LA RÉVOLUTION


vices et transforme leurs méfaits en services publics. Ils sont bien véritablement le peuple souverain, et c’est leur pensée intime qu’il importe de démêler. Si l’on veut comprendre les événements, il faut apercevoir l’émotion spontanée que soulève en eux le procès du roi, la défaite de Neerwinden, la défection de Dumouriez, l’insurrection de la Vendée, l’accusation de Marat, l’arrestation d’Hébert, et chacun des dangers qui tour à tour viennent fondre sur leurs têtes. Car cette émotion, ils ne l’empruntent point à autrui, ils ne la reçoivent pas d’en haut, ils ne sont pas une armée confiante de soldats disciplinés, mais un amas méfiant d’adhérents provisoires. Pour leur commander, il faut leur obéir, et leurs conducteurs seront toujours leurs instruments. Si applaudi et si affermi que semble un chef, il ne subsiste que pour un temps, sous bénéfice d’inventaire, comme porte-voix de leurs passions et comme pourvoyeur de leurs appétits. Tel était Pétion en juillet 1792, et tel est Marat depuis les journées de septembre. « Un Marat de plus ou de moins (et il y paraîtra tout à l’heure) ne changerait rien au cours des événements[1]. » — « Il n’en resterait qu’un seul[2], Chaumette par exemple, que c’en serait assez pour conduire la horde, » parce que c’est la horde qui conduit. « Elle s’attachera toujours ; sans aucun respect pour ses anciens patrons, à celui qui paraîtra la suivre davantage dans ses débordements… Ils

  1. Rœderer, Chronique des cinquante jours.
  2. Schmidt, I, 246 (Dutard, 18 mai).