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LA RÉVOLUTION


700 000 âmes par la grâce de huit ou dix mille fanatiques et coupe-jarrets. Jamais changement si brusque n’a pris des hommes si bas pour les guinder si haut. Des gazetiers infimes, des scribes du ruisseau, des harangueurs de taverne, des moines ou prêtres défroqués, le rebut de la littérature, du barreau et du clergé, des menuisiers, tourneurs, épiciers, serruriers, cordonniers, simples ouvriers, plusieurs sans état ni profession[1], politiques ambulants et aboyeurs publics, qui, comme les vendeurs d’orviétan, exploitent depuis trois ans la crédulité populaire, parmi eux nombre de gens mal famés, de probité douteuse ou d’improbité prouvée, ayant roulé dans leur jeunesse et encore tachés de leur ancienne fange, relégués par leurs vices hors de l’enceinte du travail utile, chassés à coups de pied des emplois subalternes jusque dans les métiers interlopes, rompus au saut périlleux, à conscience disloquée comme les reins d’un saltimbanque, et qui, sans la révolution, ramperaient encore dans leur boue natale en attendant Bicêtre ou le bagne auxquels ils étaient promis, se figure-t-on leur ivresse croissante à mesure qu’ils boivent à plus longs traits dans la coupe sans fond du pouvoir absolu ? — Car c’est bien le pouvoir absolu qu’ils réclament et qu’ils exercent[2]. Élevés par une délégation spé-

  1. Mortimer-Ternaux, II, 446. Liste des commissaires de section qui siégeaient à l’Hôtel de ville le 10 août avant neuf heures du matin.
  2. Procès-verbaux de la Commune, 21 août. « Le conseil général de la Commune, considérant que, pour assurer le salut public et la liberté, il a besoin de tout le pouvoir que le peuple lui a délégué au moment où il a été forcé de reprendre l’exer-